L’adoption en 2007 par les Nations unies de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones a permis de poser « les normes minimales nécessaires à la survie, à la dignité et au bien-être des peuples autochtones du monde ». La DNUDPA offre un cadre juridique international à la reconnaissance des droits collectifs uniques des peuples autochtones à travers le monde. Elle reconnaît également, à la lumière de ces droits humains, le droit des peuples autochtones à l’autodétermination. Principale instance mondiale dont la mission est de bien comprendre et d’assurer la conservation du patrimoine archivistique, qui incarne l’humanité commune de nos mémoires sociales, le Conseil International des Archives se doit de mettre en œuvre les conseils de la DNUDPA. À cet effet, la Commission du Programme de l’ICA a créé le Groupe d’experts sur les affaires autochtones (EGIM) lors d’une réunion de l’ICA qui s’est tenue en Australie, à Adélaïde, en octobre 2019, soit douze ans après la publication de la DNUDPA. Comme le dit Phyllis Williams, co-présidente de l’EGIM et représentante autochtone au sein des Archives nationales d’Australie, la lenteur de la bureaucratie internationale est légendaire. L’EGIM sera le premier organe officiel exclusivement dédié aux affaires autochtones dans le cadre des efforts menés par l’ICA pour la défense du patrimoine documentaire international. La Déclaration de Tandanya – Adélaïde est sa première déclaration officielle sur les affaires autochtones.
Au cours de la période qui a précédé la séance d’ouverture à Adélaïde, un comité international ad hoc a échangé pendant le printemps et l’été à plusieurs reprises avec des représentants et archivistes de communautés autochtones du monde entier pour établir les principes devant structurer le travail de l’EGIM. Ces principes sont notamment :
Mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dans la mesure où elle se rapporte aux savoirs et aux gardiens du savoir autochtones ;
Conservation et accessibilité des langues autochtones présentes dans les documents d’archives ;
Communication sur le rôle des archives et des fonds archivistiques dans l’appui aux initiatives prises par les communautés visant à réclamer leurs droits et à demander réparation ;
Prise en compte des implications dans la gestion et l’accessibilité des archives dans les cas de groupes autochtones transnationaux ;
Étude des techniques autochtones de création, de partage, d’utilisation et de sauvegarde des expressions du savoir autochtone.
L’EGIM a tout d’abord déclaré, selon les termes de la Déclaration, être « conscient de ses responsabilités dans la redéfinition du rôle des archives ». Il doit devenir un « modèle engagé de la mémoire sociétale, et ce dans le but de tenir compte de la vision du monde des peuples autochtones et de leurs techniques de création, de partage et de conservation de connaissances précieuses », de s’ouvrir « à d’autres interprétations des archives publiques grâce aux concepts autochtones », pour déboucher « sur une nouvelle dynamique spirituelle et écologique, ainsi que sur la prise en compte de la philosophie autochtone dans les traditions européennes » de la mémoire publique. Pour contribuer « à façonner une chronique plus juste et salutaire de la rencontre coloniale ». Une fois énoncés ces objectifs, la rédaction du corps de la Déclaration fut confiée à un archiviste, les différentes versions du projet de texte étant alors soumises aux commentaires et corrections du comité ad hoc.
En filigrane de ces discussions se trouvait la reconnaissance du fait que l’action de l’ICA se situe à l’échelon international, où il est possible de définir collectivement les droits des « peuples », par opposition à ceux des États-nations souverains. Comme l’observe S. James Anaya, « l’autodétermination concerne les êtres humains non seulement dans leur dimension de personnes dotées d’une volonté autonome mais plus encore dans leur dimension d’êtres sociaux engagés dans la création et le fonctionnement de communautés ». L’EGIM est conscient que le concept dynamique de communauté s’est heurté, parfois violemment, aux États souverains du modèle westphalien qui se sont partagé le monde. Les droits collectifs reconnus sur le plan international trouvent leur expression dans le cadre des structures de gouvernance d’une multitude d’États, chacun ayant dans son droit une définition du « peuple » national ayant pour objet d’asseoir l’autorité de l’État.
Pour aborder cette fracture cognitive, il importe que les archivistes interprètent la Déclaration comme un pont conceptuel jeté entre la base juridique internationale des droits collectifs des peuples autochtones à l’autodétermination et les défis que les archivistes doivent relever pour intégrer ces droits des autochtones dans les archives coloniales des États colonisateurs. Les cinq thèmes abordés dans la Déclaration concernent chacun un aspect spécifique des archives, qui représentent autant de fils permettant de tisser les notions d’identité, d’affirmation de soi, d’humanité et de mémoire sociale telles qu’elles sont pensées par des peuples autochtones pour les intégrer aux conceptions étatiques des responsabilités en matière de conservation du patrimoine culturel.
Si le fossé conceptuel semble impossible à combler du point de vue des archives européennes traditionnelles, le défi est encore plus grand pour les peuples autochtones qui ont survécu à la rencontre coloniale génocidaire. Selon les mots de James (Sa’ke’j) Youngblood Henderson, autochtone, philosophe du droit, pour relever le défi qui consiste à reconnaître dans le droit et dans les archives notre humanité commune,« les peuples autochtones doivent œuvrer pour que l’espoir puisse l’emporter sur les expériences du passé, la créativité sur l’impossibilité, le constitutionnalisme sur la domination, la prophétie sur l’habitude, la gentillesse sur l’impersonnel, le lieu sur le temps, la solidarité sur l’individualisme, la sérénité sur la vulnérabilité, et l’amour et la relation empathiques sur absolument tout ».